Mercredi 18 mars 3 18 /03 /Mars 20:06

VI

Dans un pur reflexe de pudeur, Liliane ramena le drap sur son corps nu, puis elle planta son regard noisette, luisant d’une petite flamme de colère, dans les yeux sombre du flic.


Qu’est-ce que tu m’as fait boire, Florien ? articula-t-elle lentement, en desserrant à peine les dents.


Le nommé Florien s’avança de quelques pas et s’installa sur l’un des coins du lit. Il ne semblait y avoir aucune animosité en lui, mais plutôt un certain abattement, peut-être du regret.


Qu’est-ce que tu m’as fait boire ? répéta Liliane sur un ton plus haut. Pourquoi suis-je menottée à ce lit et nue ? Qu’as-tu mis dans ma tisane ?

Rien de méchant, un simple somnifère. Tu es arrivée chez moi quasiment nue, tu te souviens ? Tu étais trempée, morte de peur et de froid… Quand le soporifique a commencé à faire son effet, je t’ai aidée à retirer le peu de vêtements que tu portais. Je t’ai séchée et puis mise au lit. Il ne s’est rien passé d’autre, tu peux me croire.


Liliane se souvenait parfaitement du moment où elle était arrivée devant le petit immeuble de cinq étages. Elle avait eu quelques secondes d’hésitations avant de descendre de la voiture. La ruelle était animée de personnes qui se rendaient à leur travail et il était donc impossible qu’on ne la remarque pas. Mais la peur de ce qu’il s’était passé à Provins avait fini par l’emporter sur celle de se faire remarquer à moitié nue dans un lieu public.


Elle se souvenait avoir fondu en larme dans les bras de Florien, lorsque celui-ci avait ouvert la porte de son appartement, puis de la difficulté qu’elle avait eu à lui expliquer calmement ce qu’il venait de lui arriver. Il lui avait préparé une tisane tout en la questionnant, comme le flic qu’il était. Puis, plus rien, le trou noir, jusqu’au moment où elle s’était réveillée menottée à un lit. Elle ne put retenir un frisson à l’idée qu’il avait pu la toucher alors qu’elle se trouvait dans les vapes.


Je n’ai fait que te sécher et te mettre dans ce lit, lui dit doucement Florien comme s’il avait lu dans le fil de ses pensées.

D’accord, mais pourquoi ces menottes ?


Florien fouilla dans l’une des poches de son jean et en tira une petite clef. Il libéra le poignet de Liliane et éprouva un sentiment de culpabilité en apercevant la marque rougeâtre laissé par la menotte ; il avait serré un peu trop fort.


Il connaissait Liliane depuis environ quatre mois et, si elle n’avait pas été l’une des filles de Titia, sans doute se serait-il allé à succomber à ses charmes indéniables. Il s’était donc contenté de lier une sorte d’amitié, ne faisant rien qui aurait pu mettre en rogne la patronne dont, après tout ce temps, il ne savait que peu de choses, notamment qu’elle pouvait être dangereuse.


Florien Lacaze, 34 ans, avait été contacté par un inconnu quelques temps avant que n’éclate l’affaire de la cocaïne volée dans les locaux du 36. Ce dernier lui avait remis une clef USB contenant une vidéo à son intention qu’il avait visionné dans la tranquillité de son petit appartement. Dans un premier temps, il avait cru à une plaisanterie, surtout lorsqu’il avait vu apparaître à l’image une femme se faisant appeler Titia, au visage masqué par un loup noir bordé de dentelle. Mais, très rapidement, son sang s’était glacé. L’inconnue lui expliquait qu’elle était au courant d’un vol important de drogue dans les locaux du 36, qu’elle le savait impliqué dans l’affaire, affaire qui n’allait plus tarder à éclater au grand jour. Dans les détails qu’elle fournissait, il avait vite réalisé qu’elle ne plaisantait pas, qu’elle savait parfaitement de quoi elle parlait. Comment avait-elle été mise au courant ? Encore aujourd’hui, il n’avait pas de réponse.


Toujours dans la vidéo, Titia lui laissait le choix entre deux possibilités : plonger pour ce vol, ce qui l’amènerait sans nul doute derrière les barreaux, ou bien se mettre à travailler pour elle, auquel cas il ne serait jamais inquiété ; son nom n’apparaîtrait même pas dans les rapports de police de l’enquête qui allait s’ouvrir. En travaillant pour elle, il resterait un flic ripoux, mais placé sous la meilleure protection qu’il soit.


Il avait eu 24 heures pour prendre sa décision. Toujours dans la même vidéo, Titia lui avait expliqué que l’homme qui lui avait remis cette clef se représenterait à lui et il n’aurait qu’à lui donner sa réponse. Il avait dit oui.


Une question le taraudait aujourd’hui encore : pourquoi lui ? Parmi toutes les personnes impliquées dans cette affaire de drogue, il y avait des hauts responsables de la police, des gens nettement plus importants que lui, disposants de plus d’influence. Pourquoi l’avait-elle choisi lui ?


Il n’avait jamais eu l’occasion de lui poser cette question, pour la bonne raison qu’il n’avait encore jamais rencontré cette mystérieuse Titia en direct. Leurs échanges se faisaient, la plupart du temps, par courriels et, dans de rares moments, quand un évènement majeur le nécessitait, par téléphone, sur un mobile prépayé dont le numéro changeait tous les quinze jours, chaque numéro lui étant envoyé dans sa boîte mail, perdu au milieu d’un long courriel souvent sans réelle importance.


Florien ne savait donc toujours rien de Titia, si ce n’est que tel n’était vraisemblablement pas son véritable prénom, qu’elle pouvait être dangereuse, qu’elle était d’une prudence sans faille et d’une intelligence hors du commun. Dans moins de deux heures, il la rencontrerait pour la toute première fois ; dans moins de deux heures, il pourrait enfin lui poser cette question, mais aussi la remercier car, jusqu’à ce jour, il n’avait jamais eu à regretter son choix.


Je suis désolé, dit-il, mais il fallait que je m’assure que tu ne disparaisses pas pendant mon absence.

Pourquoi aurais-je disparu ? s’écria Liliane. Je te rappelle que je suis venue ici de mon plein grès !

Je sais, mais ton histoire n’est pas très claire… Tu as foutu un sacré bordel là-bas !

Je n’ai strictement rien fait de mal ! Je ne faisais que suivre les consignes de Titia !

Je l’ai eu au téléphone et ce n’est pas la version qu’elle m’a donné.

Quoi ?


Le pronom interrogatif mourut au fond de la gorge de Liliane. Quelque part en son for intérieur, elle sentait bien que quelque chose clochait dans toute cette histoire, qu’il y avait peut-être  une possibilité qu’elle se soit faite piéger. Mais par qui et pourquoi ? Elle n’arrivait pas à se résoudre à cette idée ; elle avait reçu des mails de Titia, des mails provenant de la boîte habituelle, d’un serveur totalement sécurisé ; comment était-il possible que quelqu’un ait pu réussir à pirater cette boîte ?


Je vais tacher de te trouver des vêtements, reprit Florien d’une voix douce, tout au moins, de quoi te couvrir le haut du corps.

Où va-t-on ?

Au Masque. Titia veut te voir.


Florien se leva et quitta la chambre, la mine redevenue très sombre. Au retour du club, il aurait un autre problème à résoudre : la voiture de Christophe Marques, toujours stationnée en bas de l’immeuble.

Une Citroën C6 noire, aux vitres totalement opaques, s’arrêta devant l’entrée du Masque de Titia, sur le trottoir opposé. Un petit groupe d’une dizaine de personnes, hommes et femmes, attendaient patiemment que l’armoire à glace, plantée devant la porte, les autorise enfin à pénétrer dans le sanctuaire de la débauche. Tous et toutes avaient en commun un accessoire qui leur masquait le visage, des loups, de formes et tailles différentes, semblant sortir d’un quelconque carnaval vénitien.


Le conducteur de la C6 coupa son moteur et s’apprêtait à descendre, quand son passager, installé à l’arrière du véhicule, le stoppa en posant une main sur son épaule.


Inutile de m’ouvrir la portière, lui dit ce dernier avant de se recaler au fond de son siège. Laissez-moi cinq minutes.

Très bien, monsieur.


Le passager était un homme de taille moyenne, portant admirablement bien ses 55 ans. Une chevelure noire de jais bien fournie, coupée courte, des yeux fins d’un bleu très clair, et une corpulence très athlétique, le Ministre de l’Intérieur, Serge Levallois, dégageait naturellement un puissant charisme qui pouvait plaire ou non, mais qui ne laissait jamais indifférent,, que l’on soit homme ou femme. Bien qu’il ne fut pas adepte de chirurgie esthétique, il ne présentait que très peu de rides et ses tempes grisonnantes ne faisaient que rajouter un peu plus à son charme, plus qu’elles ne trahissaient son âge.


Forte prestance, une assurance presque exagérée, Levallois était à la tête de l’Intérieur depuis l’élection de François Hollande à la présidence de la République. Ce n’était pas le poste qu’il briguait réellement au gouvernement ; le véritable poste lui était passé sous le nez à cause d’une stupide histoire de cul qui avait bouleversée toute la pré-campagne présidentielle, juste avant les primaires du P.S, et qui avait forcé le parti à changer brusquement de candidat.


La présidence du pays ne l’intéressait pas, pas plus hier qu’aujourd’hui, car il savait que le Chef de l’Etat ne détenait le véritable pouvoir. Il n’était qu’une simple marionnette servant à donner le change au grand public et dans les dîners mondains, tandis que les véritables ficelles du pouvoir étaient entre les mains du Premier Ministre, le poste clef du pays, celui que Levallois désirait plus que tout. Il aurait dû avoir ce poste ; il le méritait plus que tous les autres.


Confortablement calé au fond de son siège, à l’abri des regards derrière les vitres opaques, il jeta un œil de l’autre côté de la rue et esquissa un sourire ironique en repensant à la première véritable anicroche à son parcours si bien planifié.


A la fin du mandat de Sarkozy, la France allait mal : elle croulait sous les dettes, même si la faute n’était pas à jeter toute entière au parti au pouvoir, et le moral des français étaient au plus bas. La droite avait échoué son navire dans une mélasse épaisse dont elle n’arrivait plus à le sortir et la gauche avait son candidat, l’homme providentiel, le porteur d’une espérance nouvelle, l’homme qui aurait fait accéder Levallois à son rêve.


Au début, tout se déroulait à la perfection. Le candidat du P.S, toujours à la tête du Front Monétaire International, gagnait sans cesse du terrain dans tous les sondages, ne laissant aucun doute sur le fait qu’il serait officiellement déclaré Le candidat à la course présidentielle lors des primaires du parti, après quoi, il n’aurait fait qu’une bouchée de Sarkozy. Tout se passait si bien… et il fallut qu’il y ait cette histoire sordide du Sofitel de New-York.


Une arrestation, une incarcération et un procès très largement médiatisés avaient fait voler en éclats tous les rêves des socialistes et, ce, malgré l’issue finale du procès, malgré les ombres jetées sur la bonne foi de la plaignante et malgré l’abandon de toutes les charges au pénal. Le mal était fait et se trouvait bien ancré dans toutes les consciences.


Strauss-Kahn avait-il été piégé ? Pour Levallois, hésitant toujours à sortir de la C6, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Même s’il ne disposait d’aucune certitude sur qui aurait pu monter un piège aussi bien ficelé, il ne lui faisait aucun doute que quelqu’un, connaissant le penchant irrépressible de DSK pour le sexe, s’en était servi pour le mettre définitivement hors course. Au PS, beaucoup avait crié au complot, accusant la droite, et il avait longtemps fait partie de ceux qui adhéraient à cette théorie. Mais une autre thèse avait fini par voir le jour dans son esprit, quand il apprit l’existence d’une certaine Titia.


Après le scandale du Sofitel, le PS avait été pris de cours, pour ne pas dire à la gorge. Néanmoins, le parti avait fini par rebondir en sortant un candidat miracle de son chapeau et, en terme de miracle, cela en avait été vraiment un : bien que manquant indéniablement d’expériences pour une telle fonction, François Hollande avait été élu à la tête de la République française. Mais les effets du miracle furent éphémères et l’enthousiasme général était rapidement retombé.


Aujourd’hui, Serge Levallois se trouvait confronté à un problème de taille. Depuis qu’ils avaient pris le pouvoir, les socialistes n’avaient connu qu’une succession de cacophonies, d’affaires indélicates éclatant au grand jour, et de ministres remerciés, ou démissionnaires : même le Premier Ministre n’avait pas été épargné et avait dû céder ses fonctions à un autre. Le pays continuait à aller aussi mal, peut-être plus, que du temps où la droite gouvernait et les français commençaient à dangereusement tourner le dos aux partis traditionnels, pour aller vers des partis plus extrêmes, avec un nouvel homme providentiel : Stéphane Marques.


Non seulement Levallois voyait s’éloigner de plus en plus la possibilité de devenir Premier Ministre, mais, pire que tout, il pressentait que Stéphane Marques avait toutes les chances de devenir le prochain Président de la République et il haïssait ce Marques, pour ce qu’il était, pour les idées homophobes et xénophobes qu’ils véhiculaient à mots couverts, pour sa fourberie et son arrivisme. Marques était dangereux, non seulement pour le PS, mais aussi pour le pays. Mais comment arriver à freiner sa fulgurante progression ? Tout comme DSK, il avait un penchant prononcé pour les plaisirs du sexe, contrairement au discours moralisateurs qu’il tenait en public, mais il était d’une grande intelligence et, surtout, bénéficiait d’un appui très puissant : Titia.


Lorsqu’il avait découvert l’existence de cette mystérieuse femme gravitant dans l’entourage de Marques, Levallois avait fait mener des recherches très poussées sur elle, activant tous ses meilleurs réseaux, mais, étrangement, il n’avait pu obtenir aucune information. Pas de photos, pas de casiers, pas d’activité bancaire… pas la plus petite trace d’une existence. Il avait fini par se demander si cette Titia était bien réelle, si elle n’avait été inventée de toute pièce, idée qui l’avait poursuivie jusqu’à un dîner copieusement arrosé, à l’ambassade américaine de Paris.


L’un des convives, qui avait particulièrement forcé sur la boisson, s’était confié à lui et ce qu’il lui avait appris lui avait glacé le sang. Non seulement cette Titia existait bel et bien, mais, de plus, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, elle avait un contrôle sur beaucoup de personnes puissantes de par le monde. Dans sa longue confession, l’homme, un sénateur américain du Wisconsin, lui avait expliquait comment elle procédait pour prendre le pouvoir et il avait appris le véritable nom se cachant derrière celui de Titia, Mélissa Dawson, réalisant que Marques n’était pas uniquement sous sa protection, mais se trouvait être aussi l’une de ses proies.


En comprenant le modus operandi de Mélissa, Levallois avait fait le rapprochement avec l’affaire DSK. Il s’était persuadé que ce dernier était tombé dans l’une des nasses de cette femme implacable, que l’affaire du Sofitel n’aurait pas dû éclater au grand jour, mais rester une simple vidéo pour exercer une pression permanente sur Strauss-Kahn, mais que quelque chose, au dernier moment, avait certainement mal tourné. C’est alors qu’un plan fou avait germé dans son esprit : utiliser le même procédé que Titia, pour faire tomber Marques.


Il avait rapidement compris que s’attaquer directement au député serait une perte considérable de temps. Non seulement ce dernier s’était déjà fait piéger une fois, donc se montrerait extrêmement méfiant face à certains évènements, mais, de plus, il y avait la barrière Mélissa Dawson. Elle apportait une protection sans faille à ses victimes, tant que ces dernières ne cherchaient pas à la trahir, assurant ainsi un investissement sur du très long terme. Levallois avait donc décidé de contourner le problème ; Marques avait un fils.


Il fit lancer secrètement une enquête sur Christophe Marques, tout en continuant à glaner un maximum d’informations sur Titia, sur son réseau d’escort et sur ses clubs. A ce sujet, le sénateur du Wisconsin fut un excellent informateur, bien malgré lui. Le soir de ce fameux dîner, Levallois, réalisant qu’il apprenait certainement quelque chose de très important, même s’il n’en mesurait pas encore ni le sens, ni l’importance, avait discrètement mis l’enregistreur de son IPhone en marche, gravant numériquement la longue confession du sénateur.


Grâce à cet enregistrement de parfaite qualité, il avait à son tour pris le contrôle du pauvre sénateur, le menaçant d’envoyer le fichier audio à Mélissa Dawson s’il refusait de l’aider. Il avait imaginé qu’il lui faudrait peut-être trouver d’autres moyens de pression pour le faire plier et avait été surpris de constater que cette simple menace avait suffi à mettre le sénateur dans sa poche. Cette madame Dawson devait être suffisamment dangereuses pour que l’on ne souhaite pas qu’elle découvre une trahison.


Il fallut trois bons mois pour que Levallois mette au point son scénario, un piège parfait à double coup : mettre hors-jeux le député Marques, mais aussi Mélissa Dawson.


Le plan était simple : filmer le fils Marques dans une relation sexuelle SM, l’une des nombreuses pratiques que condamnait ouvertement son père, et envoyer la vidéo à tous les grands médias du pays. Le peuple est ainsi fait qu’il ne pardonne aucun péché, qu’il vienne directement de leurs hommes politiques, ou, indirectement, de leurs proches. Avec cette vidéo, il ne faisait aucun doute que le scandale serait suffisamment éclatant pour mettre le député Marques à genoux et, en reconnaissant la pratique et l’une des filles de Titia, ce dernier se lancerait sans aucun doute à l’attaque de celle qui l’avait dominé trop longtemps. Un loup aux abois, qui a perdu tout ce qu’il pouvait perdre, devient un animal extrêmement agressif.


C’était un bon scénario, monté avec patience, mais il avait fallu qu’un grain de sable vienne se glisser dans les rouages de la machine infernale : Christophe Marques avait mystérieusement décédé.


Voulez-vous que nous repartions, monsieur ?


Levallois ne répondit pas à son chauffeur. Il observa le vigil flanqué devant l’entrée du club et se demanda si c’était une bonne idée d’y aller ; mais avait-il vraiment le choix ?


Deux jours plutôt, il avait reçu un courriel signé de Titia. Elle le conviait à venir à son tout nouveau club ouvert à Paris, lui communiquant l’adresse exacte, ainsi que la date et l’heure à laquelle il devait se présenter. Elle lui expliquait aussi qu’il devrait se munir d’un masque et terminait par ces mots : « Ne vous dérobez surtout pas à mon invitation. Notre rencontre est devenue inéluctable et, au vu des recherches que vous avez entreprises sur mon compte, vous devez en savoir assez pour comprendre que je ne plaisante pas. ».


Levallois poussa un profond soupir et ajusta le loup sur son visage. Il se demanda ce que cette soirée allait encore lui réserver comme mauvaise surprise. Déjà deux morts, dont un meurtre qu’il avait commandité, et, bientôt, un de plus, peut-être deux. Ce n’était vraiment pas ce qu’il avait souhaité ; la situation avait dérapée.


Non, dit-il en portant la main à la poignée de la portière. En revanche, ne m’attendez pas ici. Je vous appellerai, pour que vous veniez me reprendre, dès que j’en aurai fini.

Très bien, monsieur.


Levallois allait tirer la poignée vers lui, mais, au dernier moment, sa main retomba sur sa cuisse. Il entendait son cœur cogner fort contre sa poitrine ; pour la première fois de sa vie, il se retrouvait confronter à la peur, la véritable peur, un sentiment vicié qui s’était glissé en lui à l’instant même où il avait ordonné l’exécution de cette pauvre femme de ménage. Il ferma les yeux et se remémora les derniers instants avant qu’il ne décide de franchir la barrière.


L’homme de main qu’il avait engagé, un de ces mercenaires qu’emploient souvent les gouvernements pour se débarrasser discrètement d’un problème, l’avait appelé très tard dans la nuit pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Christophe Marques était mort. Comment ? Raison inconnue. Peut-être cela avait-il un rapport avec un stupide bâillon.


Pris de panique, Levallois avait donc décidé de tout arrêter, croyant encore naïvement qu’il était possible d’arrêter quelque chose. Il avait ordonné au mercenaire de faire le ménage et de le retrouver pour le déjeuner dans un café situé près du ministère. Une fois de plus, ses rêves semblaient s’envoler au loin.


La panique avait été sa première conseillère… mauvaise conseillère. Au fil des minutes, Levallois avait retrouvé un peu de son calme, de son assurance ; son esprit s’était remis à fonctionner à l’endroit et il avait trouvé une solution de secours. Il suffisait simplement d’apporter quelques modifications au plan original, de s’adapter aux nouvelles données du terrain pour continuer à avancer et vaincre.


Il avait rappelé le mercenaire et lui avait demandé de retourner à Provins pour prendre quelques photos du fils Marques. Pendant ce temps, il se serait chargé de retrouver la trace de la fille, chose qui n’allait présenter aucune difficulté dans la mesure où elle avait pris la voiture de Christophe, un modèle de luxe disposant d’un système de géolocalisation. Il en était convaincu : la situation allait revenir en sa faveur… Mais un autre grain de sable avait fait son apparition.


Le mercenaire était déjà loin de Provins lorsque Levallois l’avait appelé pour lui donner les nouvelles consignes. Le temps qu’il revienne sur ses pas et la maison n’était plus déserte : la femme de ménage était entrée dans le scénario.


Il avait rappelé le ministre qui, à nouveau pris par la panique, lui avait demandé un peu de temps pour réfléchir, mais cela avait pris trop de temps, beaucoup trop. La femme de ménage avait fini par quitter la maison en hurlant comme une folle et le mercenaire, n’ayant aucune marche à suivre, avait pris la décision d’intervenir. Il l’avait calmée, l’avait ramenée dans la maison et l’avait laissée au rez-de-chaussée tandis qu’il montait à l’étage pour prendre discrètement les photos. Ce n’est qu’après qu’il avait appelé la police.


Levallois s’était senti soulagé, pour un court moment, lorsqu’il avait appris que les photos avaient été faites, mais le mercenaire avait été vu par la femme de ménage. Cela était-il important ? Etait-ce une source d’éventuels problèmes ?


Entre-temps, la voiture de Christophe Marques avait été localisée dans un petit quartier résidentiel de Joinville-le-Pont. En faisant effectuer des recherches sur l’identité de tous les habitants du quartier, un nom avait particulièrement attiré l’attention des enquêteurs mis sur l’affaire et auxquels Levallois savaient pouvoir avoir une confiance aveugle. Ce nom était celui d’un flic du 36, Florien Lacaze. Mélissa Dawson avait de nombreux flics dans sa poche, et pas uniquement en France, allant du simple gardien de la paix, jusqu’au commissaire. Levallois ne savait rien de ce Lacaze, mais la coïncidence était troublante et ce fut à cet instant qu’il avait basculé.


Il avait rappelé son mercenaire pour lui communiquer de nouvelles consignes. Tout d’abord, il devait éliminer la menace de la femme de ménage, puis, une fois fait, il lui faudrait se rendre à Joinville pour supprimer la fille et toutes personnes qui se trouveraient avec elle. Dans l’esprit dérangé de Levallois, un troisième plan avait vu le jour : faire parvenir les photos aux médias et attendre que la police découvre le corps de Liliane dans la voiture de Christophe Marques. L’enquête ferait rapidement le rapprochement entre les deux affaires et mènerait, tôt ou tard, jusqu’à Mélissa Dawson.


Monsieur ?


Levallois secoua vivement la tête puis, sans répondre, ouvrit enfin cette portière et quitta la C6. Prenant une grande bouffée d’air frais, il avança d’un pas décidé vers l’armoire à glace qui le dominait de plus de deux têtes. Il lui présenta un carton d’invitation, fournit par mail par Titia, et le vigil s’écarta, un sourire en coin.

Dans sa voiture, le mercenaire commençait à trouver le temps long. Cela faisait à présent une bonne demi-heure qu’il planquait non loin de l’entrée du petit immeuble où était supposée se trouver sa prochaine victime, mais il n’y avait toujours eu aucun mouvement, ni de la femme, ni du flic qui avait été identifié. Passé un court instant, il avait eu l’idée de se rendre au deuxième étage de cet immeuble et de frapper à la porte du dénommé Lacaze, mais il avait fini par se raviser. Le ministre lui avait dit qu’il y avait de fortes présomptions que la fille se trouve chez ce flic, mais les présomptions ne signifiaient pas une certitude, et il y avait eu assez d’évènements fâcheux depuis la nuit passée, pour ne pas en rajouter d’autres sur de simples présomptions.


Le mercenaire s’impatientait, mais il n’était pas pour autant nerveux. Le nettoyage qu’on lui demandait était son domaine, mille fois plus que le boulot de cinéaste amateur qui lui avait été attribué un peu plus tôt. Il se sentait simplement las, fatigué par une longue nuit, et une journée tout aussi longue, où rien ne s’était passé comme prévu, avec trop de changements de cap, trop d’imprécisions, trop d’amateurismes. Il soupira et jeta un regard à son arme, toujours posée sur le siège passager, qui avait déjà ôtée une vie aujourd’hui, un dommage collatéral, comme le disent si bien les militaires.


Eprouvait-il des regrets ? La femme qu’il avait froidement exécutée n’avait sans doute jamais fait de mal à personne, avait trimé toute sa vie pour gagner son pain. Non, il n’avait ni regret, ni joie particulière ; il avait simplement fait son boulot, obéi à un ordre ; c’était son métier.


Il ne pleuvait plus depuis plusieurs heures, mais le fond de l’air restait très frais, une fraîcheur qui commençait à pénétrer l’habitacle de la voiture. Le mercenaire hésitait à mettre le moteur en marche. Juste quelques minutes. Le temps de donner un coup de chauffe. Mais il savait que ce ne serait pas prudent. Une voiture stoppée sur le côté, le moteur en marche, risque d’attirer l’attention. Pas de prises de risques inutiles. Conserver l’effet de surprise.


Son cœur manqua un bond. La cage d’escalier qu’il surveillait venait de s’illuminer et deux personnes venaient d’apparaître derrière la grande porte vitrée. Il reconnut immédiatement Liliane, affublée d’un épais blouson de cuir trois fois trop grand pour elle. Un homme lui tenait la main, un homme qu’il identifia grâce à la photographie qui lui avait été envoyée sur son téléphone. Il attendit encore quelques secondes, jeta un regard dans ses rétroviseurs, puis sortit de sa voiture en tenant son arme le long de sa cuisse.  

Par laplumeoccitane46 - Publié dans : Le masque de Titia - Communauté : Récits Erotiques X
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Retour à l'accueil

Roman érotico-sentimental

81BqbOgZTBL._SL1500_.jpg

Créer un Blog

Recherche

Calendrier

Mai 2024
L M M J V S D
    1 2 3 4 5
6 7 8 9 10 11 12
13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26
27 28 29 30 31    
<< < > >>

D'autres plumes sensuelles

Créer un blog sexy sur Erog la plateforme des blogs sexe - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés